Apprentissage de l’écriture : «On mémorise mieux les lettres apprises avec un crayon».

Article du Parisien du 18/09/2019
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Denis Alamargot, professeur en psychologie cognitive, considère que les outils numériques offrent un nouveau support d’apprentissage de l’écriture, mais ne sont pas un substitut.

Denis Alamargot., professeur en psychologie cognitive à l'université Paris Est-Créteil, spécialiste de l'apprentissage de la production écrite et des outils numériques, est directeur adjoint de l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation (l'INSPE) de l'académie de Créteil et du laboratoire Cognitions humaine et artificielle.

Il nous explique pourquoi il est important de maintenir l'apprentissage de l'écriture manuscrite, alors que les outils numériques sont de plus en plus utilisés pour écrire en dehors de l'école. Mais aussi pourquoi la France a choisi de garder une forme cursive de l'enseignement de l'écriture (autrement dit attachée). Plutôt que la méthode scripte adoptée par les Etats-Unis et la Finlande.

Pourquoi faut-il, selon vous, continuer à écrire à la main dans les écoles ?

DENIS ALAMARGOT. Il y a deux raisons. La première est que les nouvelles technologies ne sont pas suffisamment performantes et forcément adaptées à ce jour en matière d'ergonomie pour remplacer l'écriture manuscrite. Une étude auprès d'élèves de CM2 invités à rédiger au traitement de texte a montré que la qualité de leur texte, en termes d'idées, de vocabulaire… régressait de deux ans comparativement à une rédaction avec stylo. Le fait est que l'on apprend rarement aux enfants à utiliser un clavier, ils cherchent les touches, ne gèrent pas bien les va-et-vient entre le clavier et l'écran, ce qui consomme une part importante de leur attention qui n'est pas investie dans la qualité rédactionnelle. De la même façon, quand on écrit avec un stylet sur une tablette, la surface est tellement lisse que le geste des enfants est perturbé et la qualité d'écriture moins bonne. Le cerveau et son système cognitifs doivent en permanence compenser l'effet de la surface trop lisse en mobilisant là encore d'importantes ressources cognitives, un peu comme lorsqu'on roule sur du verglas et qu'on est obligé de contrôler ses gestes de conduite.

Et la seconde raison ?

Ecrire à la main mobilise des zones cérébrales et des connaissances motrices qui ne le sont pas par le clavier. Lorsqu'on apprend à écrire avec un crayon, on construit des connaissances visuelles relatives à la forme de la lettre, mais aussi des connaissances motrices liées au geste du tracé de la forme. Quand on tape sur un clavier, c'est un simple appui, les lettres ne bénéficient pas d'un encodage moteur spécifique. Ainsi, il a été montré que l'on mémorise mieux les lettres apprises avec un crayon qu'un clavier et qu'on les reconnaît ensuite plus rapidement en situation de lecture. Ce « pouvoir » de l'écriture manuscrite s'étend au-delà des lettres. Apprendre des mots en les écrivant fournit de meilleurs résultats que les épeler ou encore les lire, également en raison du codage moteur supplémentaire.

Faut-il bannir les tablettes à l'école ?

Non, les outils numériques ont des vertus, notamment par les interactions qu'ils offrent, les correcteurs orthographiques… Il faut les considérer comme un support d'apprentissage à l'écriture, mais pas comme un substitut. Je n'ai absolument pas de vision rétrograde. Il faut travailler avec la technologie. On a, par exemple, expérimenté un écran de tablette plus rugueux, avec des petites aspérités, qui donne de bons résultats en matière de qualité d'écriture chez des enfants de primaires.

Certains pays comme les Etats-Unis ou la Finlande ont abandonné l'enseignement de l'écriture cursive, en attaché, pour la seule écriture scripte. Est-ce une bonne idée ?

Les recherches existantes montrent que la cursive favorise la mémorisation de la lettre, le geste y est plus complexe, il existe plus d'indices pour reconnaître les lettres contrairement à la scripte qui s'écrit plus rapidement et facilement, certes, mais qui entraîne davantage de confusion avec certaines consonnes comme le p et le q, le d et le b.

Que faire pour améliorer l'écriture des écoliers ?

Les professeurs sont peu, voire pas du tout formés pour enseigner la graphomotricité, ce geste spécifique de l'écriture, incluant la manière de tenir son stylo, de tracer une lettre… Pourquoi ne pas envisager un module sur cette question dans leur formation ? C'est à l'âge de 13-14 ans que le geste est en réalité définitivement installé et permet alors d'écrire de façon fluide. Or, dans les pratiques et dans une certaine mesure les programmes, on considère que la graphomotricité est globalement acquise à la fin du CP, début CE1. Il faudrait pourtant continuer à la perfectionner de façon active et intensive au moins jusqu'au CM2. On est très loin du compte !